23 janvier 2015
« Hier, nous étions au bord du gouffre, aujourd’hui nous avons fait un grand pas en avant. » Maréchal de Mac-Mahon
« Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation, l'une est par les armes, l'autre par la dette. » John Adams
Le concept d’illusion fiscale peut se définir comme l’écart, volontairement caché par les autorités publiques, entre le coût et l’effet d’une action étatique. Il est très dommageable pour une société que ce concept soit méconnu du citoyen-contribuable.
Toutefois, cette méconnaissance s’explique par la volonté des dirigeants de l’entretenir. En effet, comme disait Colbert : « Tout l‘art du bon gouvernement consiste à plumer l‘oie de façon à obtenir le maximum de plumes avec le minimum de cris ». Ainsi, en matière de fiscalité, le but premier des politiciens est (1) de créer l’illusion que les impôts et les taxes des contribuables sont moindres que la réalité, et ensuite (2) de créer l’illusion que les avantages obtenus par la population seraient plus grands que la réalité.
PS : Ce texte de Sylvain Fontan est tiré de l'ouvrage à rédaction collective intitulé "Libres !!"
Ainsi, le système fiscal des pays démocratiques présente des caractéristiques consistant à (1) faire coïncider l’impôt avec des événements heureux ou malheureux, (2) faire passer l’impôt pour temporaire et marginal, (3) préférer les taxes et impôts indirects, (4) utiliser des monopoles pour générer des revenus, (5) tenter de collecter des taxes et impôts sous forme de paiements périodiques modestes, et enfin (6) brouiller la présentation des comptes.
En outre, l’action politique qui sous-tend l’action fiscale cherche toujours à se légitimer en utilisant la rhétorique de la « justice sociale », permettant ainsi de couper court à tout débat contradictoire quant au bien-fondé de la ponction fiscale. De plus, le gouvernement n’a pas intérêt à ce qu’il soit possible de mesurer l’efficacité économique des dépenses publiques issues de la fiscalité, car cela induirait d’être capable de dire qui supporte le poids de telle ou telle dépense publique, ce qui mettrait alors en évidence la profonde inégalité de la fiscalité.
Dans ce cadre, l’impôt à un effet négatif en constituant un détournement de richesse depuis des dépenses productives utiles à la collectivité vers des dépenses improductives dont chacun tente de tirer profit. En d’autres termes, au lieu de laisser le choix aux individus d’arbitrer leurs dépenses en fonction de leurs besoins en orientant cette dépense vers des activités compétitives et créatrices de richesses, l’illusion fiscale tend à accroître les dépenses improductives en drainant les recettes issues de la fiscalité vers des dépenses clientélistes visant non pas à créer des richesses mais à maintenir un statu quo des pouvoirs en flattant un électorat et en garantissant les rentes de situations liées à des statuts ou des marchés captifs.
Au-delà même des considérations économiques pures telles que la création de rentes de situation et d’un cercle vicieux de la dette qui obère mécaniquement la croissance potentielle d’un pays, cette mécanique de l’illusion fiscale légitimée par le principe de « justice sociale » entraîne irrémédiablement vers des régimes de plus en plus liberticides.
En effet, l’interventionnisme de l’État permet à des individus qui n’en subiront pas les conséquences de décider à la place de personnes qui sont réduites à la passivité. Le décideur public utilise la recette issue de la « spoliation légale » de manière non-optimale car ce n’est pas son argent qu’il dépense. De même, le citoyen passif ne peut pas prendre en compte les coûts et les avantages d’une décision sur laquelle il n’a pas de prise. Il ne peut rechercher que les moyens de s’y adapter. Dans ce cadre, la simple évocation des quatre manières de dépenser l’argent (Milton Friedman) permet instinctivement de comprendre l’irresponsabilité et le manque d’efficacité produits par un niveau d’étatisme élevé : (1) dépenser son propre argent pour soi-même, (2) dépenser son propre argent pour les autres, (3) dépenser pour soi-même l’argent des autres, (4) dépenser pour les autres l’argent des autres.
In fine, l’illusion fiscale amène les individus à ne plus avoir la liberté de choisir eux-mêmes leur propre vie, ils délèguent de facto ce choix à une classe sociale dirigeante (au sens marxiste du terme). Avec l’argent du contribuable-citoyen, les dirigeants politiques décident ainsi au nom de ce même contribuable ce que doit être sa retraite, ses soins, son école, son contrat de travail, etc. Les individus sont alors dépossédés légalement de leur libre arbitre sur tout un ensemble de choix qui devraient pourtant leur revenir.
Les hommes politiques chercheront toujours à produire de l’illusion fiscale. Par exemple, ils chercheront systématiquement à faire croire à la majorité de l’électorat « qu’elle ne paie pas d’impôts », parce qu’ils infligent de façon visible des impôts spécifiques à une minorité. En d’autres termes, cela revient à toujours porter l’attention sur la « main qui donne », tout en dissimulant soigneusement la « main qui prend » ; où la première doit nécessairement donner moins que la seconde ne prend. Par conséquent, le niveau d’étatisme constitue en soi une illustration historique du phénomène d’illusion fiscale.
Dès lors, il serait vain de croire que l’abandon de l’illusion fiscale peut provenir d’un système qui profite de ce phénomène, et dont l’utilisation est consubstantielle à son fonctionnement. En effet, la rupture avec l’illusion fiscale constituerait certes une décision politique courageuse, mais cela correspondrait également à une décision létale pour le pouvoir qui la prendrait. En outre, même dans l’hypothèse où la classe politique conviendrait collectivement de la nécessité pour l’intérêt général d’abandonner l’illusion fiscale, il n’en demeurerait pas moins que cela prendrait un temps nécessairement très long. Car, dans un système centralisé, où les parties prenantes sont multiples et les risques de frictions profondes sont très élevés, le temps que la décision descende la pyramide étatique, législative puis juridique jusqu’à l’économie réelle, la vie sociale et sociétale, il est très probable que l’esprit de concorde qui aura présidé à cette décision aura disparu et que les tentations délétères seront réapparues.
Ainsi, si aucune solution consensuelle ne peut émerger, seule la brutalité peut réussir à débloquer la situation. Dans ce cadre, seules deux solutions peuvent conduire à abandonner l’illusion fiscale. Soit le système implose car les conditions de son financement ne sont plus réunies (non consentement à l’impôt, refus des investisseurs internationaux d’acheter la dette souveraine à des taux non-prohibitifs...) ; soit le pays se vide (littéralement Ŕ à l’étranger Ŕ ou allégoriquement Ŕ démotivation) de sa population qui ne supporterait plus cette spoliation organisée au profit d’intérêts particuliers de court terme. Cette mécanique se traduisant in fine par sacrifier l’emploi privé, ainsi que les jeunes et futures générations, sur lesquels porte le poids de ce système. Dans les deux cas, les dirigeants devront revoir leur modus operandi fiscal et politique, sans quoi ils courraient le risque d’une guerre ou d’une révolution.
Citation
Sylvain Fontan, « Abandonner l'illusion fiscale », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 23/01/2014.